Parmi les concepts développés dans sa Théorie des Organisations (TOB), Eric Berne, le fondateur de l’Analyse Transactionnelle, décrit trois composantes de la culture d’une entreprise. Apprendre à les distinguer donne des repères précieux pour comprendre comment une organisation fonctionne et comment l’accompagner dans sa transition vers une culture Opale ou un modèle d’entreprise libérée.
La culture d’une organisation
Dans la théorie des organisations de Berne (TOB), l’autorité d’un système est décrite à la fois sous l’angle du leadership et sous l’angle du Canon. Berne appelle ainsi ce qui fait loi dans une organisation. On y trouve le nom de la structure, ses objectifs et ses règles et processus d’amendement et son organigramme. On y trouve aussi ce qu’il a nommé « La Culture » et qu’il a divisé en 3 niveaux : La technique, l’étiquette et le caractère. Il y a distingué ce qui constitue le style, l’ambiance, les manières de faire et ce qui se fait ou non dans l’entreprise. Ces éléments sont en partie non formalisé, rarement explicite et consigné. Ils n’en constituent pas moins l’ADN des relations entre les membres du système. Aussi, il est très important de les identifier en amont de tout intervention systémique concernant la manière de faire autorité dans le système, comme par exemple la manière de travailler ensemble, la coopération, le partage du pouvoir, la manière de prendre des décisions… etc.
Regardons de plus près chacune des trois dimensions de cette culture.
La technique : comment l’activité est-elle réalisée ?
La première dimension de la culture est la technique. Elle est relativement explicite et en conscience de tous. Elle explique comment l’entreprise entend faire son métier. Il y est question des fondamentaux du métier, la manière de l’exercer et la philosophie qui le soutien.
Par exemple, parmi toutes les agences immobilières, une agence comme Appart & Sens à Lyon se positionne comme étant la première agence solidaire d’utilité sociale reconnue (agrément ESUS). Cela dit qu’en plus de faire le métier d’agence immobilière, l’agence s’engage à innover sur le plan social et éthique. C’est sa culture technique qui définit sa raison d’être et sa manière de travailler et de gérer les relations entre les propriétaires et les locataires.
La culture permet ainsi de distinguer des entreprises qui font le même métier, mais qui le font différemment.
Mais elle indique aussi, en interne, comment il convient de faire son travail. Ainsi certaines entreprises ont une culture encore très bureaucratique alors que d’autres pratiquent le télétravail, le zéro papier et privilégient les partenaires locaux ou les fournisseurs bio. C’est une question de culture également.
La technique est donc assez facile à déceler dans une entreprise. Elle est assez ouvertement revendiquée, y compris en externe, et se trouve formalisée dans les procédures internes. C’est ce que l’on explique en premier à un nouvel embauché.
L’étiquette : comment les relations entre les membres sont-elles organisées ?
Le second élément de la culture concerne la manière dont il convient de se comporter relationnellement. Berne a nommé cela l’étiquetteau sens du « protocole » de l’entreprise. L’étiquette définit par exemple comment on s’habille. Sans parler de l’uniforme, il y a parfois des codes vestimentaires très importants à respecter, comme par exemple, la cravate dans les banques.
Mais l’étiquette définit également comment on s’appelle les uns les autres. Il est de plus en plus rare de voir des entreprises où l’on s’appelle encore Mr ou Mme, mais le vouvoiement est encore très présent. Cependant de plus en plus de nouvelles entreprises appliquent désormais le tutoiement systématique.
De manière plus subtile, l’étiquette codifie dans une entreprise comment il convient d’interpeller un collègue d’un autre service. Doit-on passer par la voie hiérarchique ? Peut-on débouler dans le bureau de son collègue sans crier gare ou faut-il prendre rendez-vous ou encore passer par le secrétariat ? Peut-on l’appeler directement sur son portable ou non ? Ce sont des questions d’étiquette.
Ces règles sont très rarement explicites. On les découvre au fur et à mesure et surtout autour de la machine à café grâce aux collègues qui nous vont nous expliquer la vie de l’entreprise. C’est donc surtout une culture orale. Mais elle est d’autant plus tenace qu’elle n’est définie par personne en particulier et dépend souvent du style des fondateurs ou par la suite de certains leaders charismatiques qui auront marqués la structure par leurs propres styles.
Le caractère : comment l’individu peut-il faire valoir sa différence dans le groupe ?
La troisième composante de la culture est nommée le caractèrepar Berne. Il s’agit de la marge de manœuvre dont chacun bénéficie pour faire apparaitre son propre caractère au-delà de la tentative de standardisation des comportements instituée par l’étiquette. Ainsi, si la cravate est obligatoire, certains pourront se distinguer en la portant relâchée sur un col ouvert, ou encore avec des fleurs. Enfin, on pourra aussi tolérer que dans tel ou tel service, la cravate ne se porte pas ou bien pas le vendredi (Friday wear).
Il est souvent intéressant de regarder comment certains jouent d’avantages avec les limites que d’autres. On repère souvent là les employés qui jouent et qui réclament indirectement certains privilèges pour assoir leur supériorité sur les autres. Ainsi osent-ils venir mal rasés alors que les autres ne le font pas ou bien ont-ils un style décalé. Je me souviens d’un expert qui se promenait en short, tongs et chemises à fleurs dans un établissement public. Ce n’était pas dans ma culture. Mais apparemment c’était toléré par l’organisation dans laquelle il travaillait, surtout qu’il était reconnu comme un expert dans son domaine.
Peut-on changer la culture d’une entreprise ?
Lorsqu’une entreprise cherche à améliorer son organisation, changer ses modalités de prise de décision ou bouleverser son organigramme, il ne suffit pas de le décréter et changer l’organigramme ou les procédures. Elle va devoir prendre en compte sa culture dans les trois dimensions que nous venons de voir.
Ainsi, il est toujours beaucoup plus facile de changer la structure quand la culture le permet. Aller provoquer un changement contre-culturel, c’est s’exposer à de fortes résistances. Un accompagnement permet aux dirigeants de prendre conscience de ces règles invisibles et de s’en servir pour faire évoluer la culture de l’entreprise, pas à pas.
La culture opale
L’idée très bien reprise par Frédéric Laloux dans son best-seller « Reinventing Organizations » est que les entreprises qui ont atteint un certain niveau de culture ont comme point commun de partager les mêmes modes d’organisation et de management. Ce qu’il appelle les entreprises Opales, (qui sont en fait un mélange des niveaux verts, jaunes et turquoises dans le modèle de la Spirale Dynamique de Clare Graves) sont des entreprises dont la culture est profondément ancrée dans un nouveau paradigme communautaire basé sur la coopération.
Sans entrer ici dans le détail, il est intéressant de se dire qu’une culture Opale est avant tout une constitution et un ensemble de règles et de procédures. Que celles-ci sont fondées sur des valeurs d’autonomie, de responsabilités, de respect de l’autre et d’altruisme. Il n’est pas étonnant alors de constater que ces entreprises sont aussi soucieuses d’écologie, de solidarité et pratiquent volontiers des politiques de réduction des déchets, les filières locales, la RSE… Ses membres sont souvent engagés socialement et tendent vers des modes d’alimentation et de consommation en dehors des habitudes consuméristes. Certains sont végétariens, fabriquent leurs savons ou encore pratiquent le co-voiturage et le co-working. C’est là leur culture.
Ainsi, interroger une entreprise sur ces pratiques-là donne une indication de sa véritable culture et donc de sa maturité pour aller vers des pratiques différentes de gouvernance.
Une stratégie de transition
En conséquence, une stratégie efficace pour accompagner en douceur l’évolution d’une structure est de partir de la culture. C’est, au niveau de la technique, proposer des changements de consommation ou de production de déchets, des alternatives bio ou n’importe quel petit changement opérationnel qui va dans le sens de la transition qui est en cours. Au niveau de l’étiquette, le fait de participer à des ateliers ludiques et des moments conviviaux, de pratiquer la méteo du jour en démarrage d’une réunion, permet de rompre avec une culture de la distance et de la froideur pour engager des relations plus chaleureuses et plus personnalisées. Enfin, pour ce qui concerne le caractère, il est important que chacun puisse apprendre à oser dire son ressenti, ses objections et ses tensions. Encourager les stages de développement personnel ou prendre des temps, pour vivre en équipe des ateliers sur les relations ou sur la coopération permet également de préparer chacun à se libérer davantage.
Cela permettra de changer le contexte de chacun, ses habitudes et de là de faire avancer les mentalités à partir de petits gestes simples avant de s’attaquer à de gros changements sensibles comme un changement de stratégie, le partage des responsabilités ou encore la pratique de la décision par consentement.
Alors, et vous, qu’allez-vous commencer à changer dans votre entreprise ?
Pour aller plus loin :
Quelles injonctions m’empêchent d’être libre au travail ?
Suis-je assez libre pour travailler dans une entreprise libérée ?
Rétroliens/Pings