Les équipes qui se structurent autour d’une idée d’autogouvernance sont parfois tentées de vouloir supprimer la notion de hiérarchie. Elles se trouvent alors en difficulté lorsqu’il s’agit de recadrer un membre. Regardons ici pourquoi et comment il est possible de recadrer un membre en exerçant une autorité partagée.
Il y a parfois beaucoup d’embarras, dans un système de gouvernance partagée, quand il s’agit de gérer certaines tensions et de poser des limites. J’entends souvent des réactions vives lorsqu’une de ces entreprises sanctionne ou exclue un membre au motif qu’il donnait des idées qui n’allaient pas dans le sens de l’habitude. « Ah, elle est belle la sociocratie quand on se débarrasse de quiconque propose des idées innovantes ! » ou bien « ils disent qu’il n’y a pas de chef, mais c’est quand même l’ancien chef qui a décidé de licencier tel ou tel individu ! ».
Ces réactions montrent un certain nombre de confusions et une certaine méconnaissance de ce qui est en jeu. Essayons ici de clarifier un peu le contexte, la problématique et les options.
La formalisation des règles est indispensable
Dans le nouveau paradigme de la gouvernance partagée, il y a des règles. Comme celles-ci sont nouvelles, elles doivent avant tout être formalisées afin de pouvoir être partagées entre tous, pour être appliquées par tous. La gouvernance partagée a comme conséquence, outre le partage du pouvoir, le partage des devoirs et responsabilités. Là où un système pyramidal s’accompagne souvent d’un plus ou moins grand flou autour des règles de fonctionnement de l’entreprise (le chef suit ses propres règles, ou celles-ci sont peu connues en dehors des instances de directions et services RH), un système de partage de la gouvernance a besoin que tout le monde connaisse et soit en capacité d’appliquer les règles. On parle alors de management constitutionnel du fait que ces organisations donnent une grande place à leur constitution. Et parmi ces règles doivent figurer les clauses d’exclusion et de démission d’un membre, car il est tout à fait légitime et prévisible que, parfois, il soit nécessaire de demander à un membre de quitter le système. Un des motifs les plus courants et facilement accepté concerne les fautes graves. Mais qu’en est-il du désaccord sur la stratégie, certaines méthodes ou certains comportements touchant à la liberté individuelle ?
Partager la responsabilité de la gestion des conflits
Comment peut-on prendre la décision d’exclure un membre ou comment arbitrer un conflit individuel entre deux membres d’une équipe ?
Le premier principe est que s’appliquent ici les mêmes règles que partout ailleurs dans l’entreprise. Les tensions ont à être résolues par le cercle concerné et avec les mêmes outils que les autres tensions. La difficulté est généralement que chaque membre du système sache véritablement adopter une juste posture de coopération. Cela sous-entend que chacun assume une triple responsabilité.
- La première est que chacun doit être à même d’adopter des comportements qui ne nuisent pas aux autres et au système, afin d’éviter la plupart des tensions.
- La seconde est que tous doivent accepter la responsabilité de soulever avec authenticité et souveraineté toute tension qu’il rencontre dans le groupe. En conséquence, il doit accepter alors de prendre le risque d’être confronté à son tour.
- Viendra ensuite la responsabilité d’assumer de porter dans le groupe une proposition telle qu’une exclusion, par exemple. C’est toujours une proposition difficile à faire et une décision lourde à assumer. C’est pour cela que la plupart de temps ce sont les chefs (ou 1ers liens) à qui le groupe laisse la responsabilité de les porter, et d’assumer seul ce qui est vu comme le « mauvais rôle ». (Et cela nourrit les managers qui croient que leur rôle est de porter plus de responsabilités que les autres).
Comment gérer le cas d’un membre dissident ?
Si dans un cercle, un membre voit ses propositions rejetées par l’équipe au motif qu’elles ne correspondent pas à la raison d’être ou à la stratégie, il se peut que son comportement manifeste un certain mécontentement et que cela créé des perturbations qui doivent être sanctionnées. Ce ne sont pas les idées qui devront être sanctionnées ou le fait d’avoir osé faire des propositions décalées, ce sont les comportements inappropriés que la personne manifesterait du fait de sa frustration (refus d’obtempérer, sabotage, mauvais esprit…).
Il appartient alors au cercle concerné de se réunir et de prendre une décision par consentement visant à trouver une solution opérationnelle au problème. Et c’est là que l’on voit la maturité de l’équipe apparaitre. En effet dans une équipe mature, la proposition d’une exclusion doit pouvoir être assumée par n’importe quel membre et non seulement par le premier lien. Et c’est à l’équipe tout entière de savoir faire le tri dans ses valeurs, au-delà des doutes et préférences individuelles, pour savoir se positionner dans un consentement ou une objection raisonnable.C’est bien un travail en équipe et non seulement le job d’un chef ou d’un rôle RH.
Souvent, en attendant que le groupe soit suffisamment mature pour se passer d’un rôle chargé de prendre les décisions difficiles, c’est le 1er lien, ou l’ancien chef, qui assume la fonction, en attendant. Et cela vaut toujours beaucoup mieux ainsi que de laisser pourrir la situation, faute de savoir la traiter au motif que l’on ne veut pas faire autorité.
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L’entreprise libérée permet-elle d’abolir la hiérarchie ?
Merci Alexis pour tes vœux pour la nouvelle année, positifs et stimulants ainsi que pour cette réflexion sur l’articulation entre approche hiérarchique et gouvernance partagée, qui vient toucher les questions d’autorité, de souveraineté et aussi de cohérence et de courage.
Quand on évoque une solution hiérarchique dans un nouveau système de gouvernance partagée, ça me semble souvent révélateur. Je me demande dans ces cas si ce n’est pas l’inconfort traversé qui oriente sur des solutions connues et éprouvées dans l’ancien paradigme. Dans les situations extrêmes d’exclusion évoquées ici, l’une des questions est en fait de savoir si le système est prêt, est mature, pour ce type d’évènement. Un collectif ne se dote pas facilement d’un processus d’exclusion, car l’éventualité s’envisage péniblement. Pourtant c’est sans doute l’un des premiers processus à formaliser.
La question générale est ainsi pour moi : avons-nous un processus de décisions pour ces cas difficiles ? (Ils étaient sans doute précédemment assumés par « le management » ou « la direction ») Avons-nous un processus de résolution de conflit?… Une constitution, habituellement, en définira les principes mais pas le mode opérant, et risque de ne pas suffire. Dans ce processus, le collectif peut choisir d’ailleurs de s’en remettre à l’autorité d’un rôle ou faire place à une approche pleinement collégiale. Ainsi le sujet pour moi est moins de savoir si c’est une personne ou plusieurs qui prennent la décision que de s’assurer de l’existence d’un processus accepté prédéfini afin d’éviter improvisations, troubles et frustrations.
Merci Jean pour cette contribution éclairante. Je te rejoins totalement sur la nécessité de prévoir et faire vivre un processus et des règles claires. C’est bien souvent ce qui manque, dans beaucoup d’organisations, quelque soit leur structure. à bientôt.
Merci Alexis pour cet article qui synthétise bien ce que j’essaye moi aussi de faire passer dans mes accompagnements. J’ajouterais un élément dans la partie gestion de conflit. Quand tu dis qu’un conflit doit être géré au sein de son cercle, oui, et j’ajouterais que le cercle lui-même se doit d’être représenté dans le processus de médiation, car il est, en tant que sous-système, à la fois cause partielle du conflit, et témoin. Il a des choses à entendre lui-même pour sa propre introspection, et évolution éventuelle. Les ombres sont souvent systémiques.
Merci Serge. Oui la dimension systémique est indispensable. Merci de l’exprimer ici. à bientôt