Notre société interroge la question du genre, la place de la femme, le machisme des hommes et ses dérives.
Il est intéressant de replacer ces questions dans une perspective plus profonde, en convoquant des points de vue à la fois psychanalytique et religieux afin de rappeler de manière très pragmatique comment nous pouvons essayer de construire, tant dans le foyer qu’à l’intérieur de soi un couple conscient qui permette -enfin!- d’envisager notre monde d’une manière plus équilibrée.
De l’inconscient à la conscience
Ce qui fait de nous des êtres sexués ne tient pas seulement à nos organes reproducteurs. C’est notre psychologie même, au delà de notre éducation et de nos préférences sexuelles qui est en jeu.
L’origine de notre conscience fait débat selon que l’on considère qu’elle est issue de la matière ou au contraire qu’elle précède la matière. Ma religion sur la question est faite, et j’emploie le mot à dessein, car il semble bien que notre essence précède notre existence. Nous sommes avant tout des êtres métaphysiques incarnés et non des corps qui ont fabriqué une conscience par on ne sait quels mécanismes biologiques. Et bien que cela soit certainement plus compliqué, in fine, nous n’en savons pas grand chose. Il me semble toutefois fondamental de prendre parti sur la question car il s’agit, au fond, de trouver une position équilibrée entre nos dimensions masculines et féminines.
Alors que nos corps et leur origine ne laissent pas de doute quant au processus de procréation, nous pouvons être sûr d’être biologiquement les enfants de nos parents. Génétiquement nous sommes tributaires de cette contingence. Mais du point de vue de notre conscience, il pourrait s’agir d’un tout autre processus comme l’enseigne le bouddhisme ou encore l’hindouisme du Kashmir et d’autres enseignants spirituels contemporains. Nous serions une âme et nous aurions choisi nos corps, notre famille de naissance et plus largement encore notre contexte de naissance et l’époque historique (à partir du 3ème mois de grossesse). Nous sommes issus de cette conscience supérieure mais nous n’en gardons pas conscience. Nous naissons coupé de cette connaissance et il nous faut la re-conquérir.
Ainsi, au moment de la naissance, il nous faut entrer dans un double processus de différenciation. Le premier consiste à s’arracher du néant de l’incréé. Nous devenons un être à part entière, mais tellement fusionnel avec la matrice maternelle que nous restons encore en partie indifférencié. Il faut alors l’intervention du principe paternel pour couper le cordon et amener l’enfant à s’émanciper et à entreprendre le chemin qui le mènera vers lui-même. Je renvoie ceux qui voudraient approfondir cette question à lire le monumental essai d’Erich Neumann (le plus grand disciple de Jung) sur l’origine de la conscience.
L’éternel féminin
La polarité féminine est en chacun de nous quel que soit notre sexe. Il s’agit de notre lien avec l’indifférencié, la matrice et l’au-delà qui précède la conscience. Nous l’avons vu plus haut, c’est par là que nous naissons à la fois à la vie et à la conscience. Cette unité primitive offre au féminin un lien privilégié à l’éternité de la vie, la participation mystique décrite par Levy-Brühl. Cette nature féminine, nommée Anima chez l’homme, est ainsi reliée à la nature, à la Terre-mère. Elle ne crée pas encore beaucoup de conscience et demandera, pour évoluer, l’intervention du principe masculin qui tranche et qui sépare. Le masculin nomme les choses qui sans cela resteraient indifférenciées dans une conscience féminine océanique et nébuleuse.
Notre nature féminine est ainsi davantage liée à l’intuition et à la créativité inspirée. Elle capte les signaux faibles émanant de tout le vivant qui nous entoure. Elle est porteuse de vie, et avant tout programmée pour protéger sa progéniture. Ainsi, elle est maternelle et nourricière, protectrice du vivant jusqu’à aller parfois au risque de l’étouffer. Elle excelle dans l’écoute et le soin. Elle sait donner du réconfort mais demande aussi protection.
La puissance masculine
Le principe masculin en chacun de nous est davantage un principe lié à l’action. Il intervient dans le développement de l’enfant pour le séparer de sa mère. Il permet alors à la conscience de quitter l’autorité matriarcale première pour l’entrainer sur le chemin de la maturité, en l’invitant à sortir de la matrice et à faire le voyage qui fera de lui le Héros de sa vie (cf notre série d’articles sur le voyage du Héros). Ainsi le Héros en nous est un principe masculin qui a su s’émanciper de la matrice des origines qui l’a créé à partir du néant, pour l’amener sur le chemin de la conscience. Le principe masculin est tourné vers l’extérieur, le risque, le combat et la puissance créatrice. Il est le créateur dans la matière de ce que la conscience féminine aura imaginé à partir de sa vision intuitive du monde et des besoins du vivant.
La nature du masculin est ainsi de nommer la réalité pour l’arracher de l’indifférenciation primordiale. Ainsi, par le verbe, il dessine des frontières, crée des circonscriptions propices à l’action. Coupé du féminin il s’assèche et crée un monde coupé de l’au-delà primordial et de la mère nature, un monde sans avenir.
Le couple intérieur
Nous sommes donc intérieurement masculin et féminin. Notre éducation et la pression sociale nous clivent au point que nous pensions ne devoir incarner que l’un de ces pôles et projeter avec inconscience l’autre sur notre conjoint. Nous nous identifions à notre sexe physiologique dans une conscience partielle de notre nature. Car bien souvent, nous n’avons pas accompli jusqu’au bout le travail de mise en conscience de notre Etre. Le pouvoir matriarcal nous a arraché au néant de la matrice. Le pouvoir patriarcal nous a permis de nous émanciper et de développer une plus grande conscience. Il nous faut encore réaliser les noces alchimiques qui permettront la réunification des principes masculin et féminin en nous, ce que Jung a appelé le processus d’individuation. Sans cette troisième étape nous restons clivé. L’homme s’enorgueillit alors d’incarner le principe d’action qui permet à la conscience de s’émanciper du monde émotionnel féminin. Il croit en sa vertu séparatrice au point qu’il en perd le lien avec la nature et croit que le monde est séparation. La femme qui ne peut se reconnaître dans cette nature reste attachée à sa nature féminine ou, pire s’identifie elle aussi à son animus (le principe masculin de la femme selon la terminologie jungienne). Alors elle projette sa partie masculine dans son conjoint qui devient sa moitié inassumée et part en croisade pour défendre avec force argumentation ses préjugés inconscients.
La complémentarité des fonctions au quotidien
Face au monde, notre nature féminine capte les signaux concrets, les détails en lien avec les besoins du vivant. Mais comme elle est émotionnelle et très en lien avec le monde de l’au-delà elle est idéaliste car très consciente de la manière dont il devrait fonctionner, à priori. Alors elle se perd dans les détails et prend peur car elle n’arrive plus à maîtriser le monde et faire en sorte d’atteindre l’idéal imaginé. Le principe masculin intervient alors pour écouter ce qui se passe et ce à quoi il n’avait pas porté attention. Il va alors mettre à distance ce qui se passe, éviter les amalgames et marquer les frontières qui permettent le discernement. Il va pouvoir proposer un plan d’action car son besoin est de montrer sa puissance créatrice. Il rassure son féminin en indiquant comment sortir de la confusion et avancer concrètement vers l’objectif. Au passage il pourra revoir les termes de l’objectif afin de le rendre moins utopique et donc plus en lien avec le réel et les possibilités concrètes d’action.
Si une femme s’identifie trop à son féminin et projette son masculin dans son compagnon elle va attendre que celui-ci la rassure et agisse à sa place sur le monde pour en maîtriser pour elle la résistance de la matière. Si elle ne trouve pas cela dans son compagnon elle pourra être tentée de jouer dans le triangle dramatique victime-sauveur-persécuteur. Elle va se victimiser, accuser son compagnon d’être pleutre ou cherchera à se sacrifier dans l’attente d’un coup de théâtre rééquilibrant autant que dommageable. Echec et conflit dans la relation seront le résultat prévisible de tout échange dans ce sens.
Si un homme s’identifie trop à son masculin, il va chercher à montrer sa capacité à maitriser la matière. Il va construire un monde rationnel pour se garantir de ne pas retomber dans un émotionnel qu’il a la charge de mettre à distance. Il va rationaliser le monde, l’organiser en séparant la matière de l’émotion, la nature de ses créations pour mieux en maitriser l’avenir. Sa peur est de paraitre impuissant. Conscient qu’il a un rôle à jouer dans l’avénement de la conscience, il va se croire porteur à lui seul de cette conscience dans une vision matérialiste et séparée de l’unité. La spiritualité va devenir religion ou sera simplement reniée au motif qu’elle n’est pas maitrisable et fait courir le risque du retour à la croyance, porte ouverte sur l’indifférenciation primordiale ou, pire, à une soumission castratrice. Il va en nier l’existence comme il niera les états d’âme de sa femme faute de pouvoir les maitriser et savoir en faire quelque chose de constructif. L’impuissance est là encore la honte à conjurer.
Petit mode d’emploi des relations homme-femme
Amusons-nous maintenant à essayer de définir ce que pourrait être le mode d’emploi pour faire face, dans le couple aux mauvais côtés de notre conjoint.
Monsieur, si votre femme n’est pas bien, c’est qu’elle a perçu des choses qui l’effraient. Apportez-lui des paroles reconnaissantes montrant votre empathie pour les émotions qu’elle vit. Aidez-la à mettre de la conscience dans ce qu’elle vit intérieurement. A ce stade, elle a besoin d’être contenue avec douceur et soutenue affectivement. N’oubliez pas qu’elle perçoit des choses que vous ne percevez pas. N’essayez surtout pas de lui imposer votre propre vision du monde. Elle ne se sentirait pas entendue.
Ensuite, demandez-lui de quoi elle aurait besoin. Peut-être votre attention était-elle suffisante? Sinon, et seulement là, voyez avec elle quel plan d’action vous pouvez mettre en œuvre.
Madame, si votre homme va mal, vous le verrez se fermer et s’isoler. Sa propension à séparer les choses pour mieux les appréhender le pousse au retrait propice pour lui à la réflexion. Il ne vous rejette pas vous personnellement, il prend du recul. Laissez le bougonner tranquille dans son coin et lorsqu’il revient vers vous activez votre écoute pour qu’il prenne conscience à travers vos questions et ses réponses de ce qui se passe en lui et autour de lui.
Ne lui dites pas ce qu’il doit faire car il le sait très bien et ce serait lui faire croire que vous voulez l’infantiliser. Aidez-le simplement à retrouver le sens de son action en valorisant ses valeurs et en l’invitant à les replacer dans le contexte. Il reprendra confiance, se sentira valorisé dans une masculinité intégrée et pourra alors se mettre en action dans une vision retrouvée.
Dans le couple, soyez présent l’un à l’autre dans votre différence et les valeurs qui vous rassemblent. Vos cheminements intérieurs sont différents et complémentaires. Là où vos egos vous séparent, votre questionnement intérieur, ouverture vers l’inconscient, vous rassemble. Ce que votre partenaire manifeste et qui vous semble si différent de vous est sans doute une partie de vous qui n’est pas encore en conscience et qui demande à être intégrée. Ainsi l’autre sexe devient un modèle pour développer en soi une conscience plus équilibrée. Alors pourra s’ouvrir le chemin de chacun vers une conscience plus large, plus intégrée : le Soi jungien.
Ainsi le couple, en ce qu’il constitue alors plus que la somme de vos deux égos, devient le réceptacle alchimique de la transformation de chacun. Dans cette conscience qui vous dépasse, chacun pourra trouver le chemin vers ce qu’est le Soi, la conscience supérieure à laquelle l’égo gagne à s’abandonner avec confiance et ouverture. Le Moi ne disparaît pas et l’Ombre n’est plus niée. La personnalité se développe en conscience à la lumière d’une conscience plus large et plus universelle. L’humanité s’équilibre et (re)trouve dans cette nouvelle manière d’être une juste place parmi la création, vivante au sein du vivant, conscience matérialisée et matière inspirée.
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