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Cela fait pas loin de 30 ans que j’ai des amis qui font le chemin de Compostelle. 

Je voyais cela de loin, comme une lubie un peu folle, une drôle d’idée un brin passéiste ou -pire- un truc religieux même si j’en voyais davantage la dimension spirituelle. Et puis je pensais bien que je n’avais pas le temps de faire ce voyage et que jamais je ne prendrais du plaisir à partager un hébergement spartiate avec des inconnus ronfleurs et à priori peu intéressants.

Pourtant, de manière assez imprévue, j’ai accepté cette année, de suivre une amie sur son chemin. J’ai fait l’expérience par moi-même. Sans attente, sans projet. Dans la joie de l’expérimentation vivante au jour le jour. Je ne suis parti que 5 jours entre Aubrac et Conques. Pour une première expérience… Aventure. Ouverture.

Je suis parti avec des idées reçues et fatalement j’ai dû faire le constat que toutes ces idées sont fausses ou presque. Le vécu est bel et bien la seule et unique vérité que l’on peut expérimenter. Et que l’on ne peut guère partager, du coup.

Cela ressemble à un poncif, mais il me faut me résigner : pour comprendre le chemin, il faut en faire l’expérience par soi-même. 

Alors non, je ne vous raconterai pas ce que j’ai vécu car c’est dans mon coeur. Je ne vais pas tenter de vous convaincre qu’il se passe un truc comme nul par ailleurs sur ce chemin car ce truc n’est pas explicable. C’est un ressenti et il est bien difficile de mettre des mots dessus. Je pourrais tenter de vous montrer des photos des paysages et des magnifiques villages et autres curiosités aperçues en chemin, mais cela ne vous dira pas grand chose.

Et vous faire le topo sur l’incroyable convivialité des gîtes et l’immédiate connexion que l’on arrive à avoir avec les autres randonneurs ce serait vous saouler très vite.

Moi aussi, je me faisais une idée de ce que c’est et moi aussi je pensais que tout ce tapage autour de cette expérience que certains racontent dans un enthousiasme quasi mystique était assez exagéré.

En fait, je pensais beaucoup de choses à propos de cette expérience…

Et je comprends maintenant que toutes ces pensées ne m’ont servit qu’à m’illusionner et à me freiner dans ma libre curiosité. 

J’aurais peut-être pu faire ce constat bien avant et tout aussi bien sur un autre chemin. Mais en fait, non. Il y a bien sur ce chemin une ambiance toute particulière. Il y a une beauté, une histoire et une « culture » du cheminement tant physique qu’intérieur qui attire tellement de monde et qui touche tellement les gens que les relations deviennent soudain très différentes. Etre sur le chemin, c’est, à moins d’être complètement fermé, être invité à s’ouvrir et à partager d’une toute autre manière. C’est vite comprendre que les discours intellectuels, les à-priori sur le monde et les autres, les peurs et les jugements n’ont pas de place sur ce chemin. C’est s’ouvrir aux autres et apprendre à les accueillir avec leurs rythmes différents, leurs motivations différentes et leurs expériences uniques. C’est (re)découvrir l’humilité dans la confrontation avec la nature et la réalité des contingences physiques. C’est faire l’expérience de la solitude et du retour en soi lors des heures de marche en solo. C’est prendre plaisir à sortir de cette solitude et d’être libre d’y retourner quand on le désire. Et c’est donc avoir une occasion particulièrement forte d’expérimenter sa relation à soi et aux autres ainsi que le décalage entre ce que l’esprit veut et la réalité physique du corps et de la Nature.

Bien sûr, chacun chemine avec son monde intérieur et on ne s’allège pas si facilement que cela, à l’image des sacs à dos qui s’allègent bel et bien au fur et à mesure que l’on réalise que le nécessaire tient à bien peu de choses. Car l’essentiel est ce que l’on vit en son coeur. Et cela, je vous le redit, cela ne se partage pas bien.

Mais une chose est certaine, ce que chacun vit sur ce chemin est forcément Juste et Parfait.